Biodanza : Entre Libération du Corps et Risques d’Emprise, l’Analyse d’une Psychologue

La promesse de la Biodanza est puissante : renouer avec la joie de vivre par le mouvement, se reconnecter à soi et aux autres dans un cadre bienveillant. Cette pratique, née au Chili dans les années 1960, attire de plus en plus de personnes en quête de sens et de lien. Pourtant, comme toute méthode qui touche à l’intime et à la libération émotionnelle, elle n’est pas exempte de risques. En tant que psychologue, je constate que derrière l’invitation au « lâcher-prise » se cache parfois un terrain glissant pour les personnes en situation de vulnérabilité. Aborder la Biodanza avec lucidité, c’est se donner les moyens de profiter de ses bienfaits tout en se protégeant de ses potentielles dérives.

En bref : ce qu’il faut savoir

  • Un potentiel réel mais ambivalent : La Biodanza peut offrir de véritables bienfaits sur le plan émotionnel et relationnel, mais sa puissance même peut déstabiliser les psychismes fragiles si elle n’est pas encadrée avec une rigueur absolue.
  • Le risque psychologique principal : La libération émotionnelle intense, ou « vivencia », peut réactiver des traumatismes non résolus ou aggraver des troubles existants (dépression, anxiété) sans l’accompagnement thérapeutique adéquat.
  • Le danger de l’emprise : La dynamique de groupe, l’intensité affective et la figure parfois idéalisée du facilitateur créent un environnement propice aux dérives d’emprise mentale, voire sectaires, nécessitant une vigilance de tous les instants.
  • Le facilitateur, clé de voûte de la sécurité : La qualité, la formation, l’éthique et la posture du facilitateur sont les garants premiers d’une pratique sécurisante. Le choix de ce dernier ne doit jamais être laissé au hasard.

Comprendre la Biodanza : une méthode au cœur du vivant

Pour bien saisir les enjeux, il est utile de revenir à l’essence de cette pratique. Conçue par le psychologue et anthropologue chilien Rolando Toro Araneda, la Biodanza, initialement nommée « Psychodanse », se fonde sur un principe biocentrique : remettre la vie au centre de tout. Loin d’être une simple danse, elle se définit comme un système de « rééducation affective » et de « réapprentissage des fonctions originaires de la vie ».

Le cœur de l’expérience est la « vivencia », un concept que l’on pourrait traduire par une expérience vécue avec une intensité maximale dans l’instant présent. Au cours d’une séance de deux heures, après un temps de parole, le facilitateur propose une série d’exercices et de danses. Celles-ci ne sont pas chorégraphiées mais induites par des musiques spécifiquement sélectionnées pour stimuler cinq grandes lignes d’expression de notre potentiel humain : la vitalité, la sexualité (au sens large d’élan de vie et de plaisir), la créativité, l’affectivité et la transcendance. Le silence pendant la pratique vise à court-circuiter le mental pour laisser parler le corps et l’émotion pure.

Les bienfaits reconnus : pourquoi un tel engouement ?

Il serait malhonnête de ne pas reconnaître les effets positifs que de nombreux pratiquants rapportent. La Biodanza est souvent vécue comme une bouffée d’oxygène dans nos sociétés où le corps est bien souvent oublié, et où la performance et le contrôle priment. Les participants évoquent fréquemment une nette réduction du stress, un sentiment de vitalité retrouvée, une plus grande confiance en soi et une amélioration de leur capacité à entrer en relation avec les autres de manière plus authentique.

En stimulant l’expression émotionnelle et le contact humain non verbal, elle peut effectivement aider à dissoudre certaines cuirasses, à renforcer l’estime de soi et à créer un sentiment d’appartenance puissant. C’est précisément cette force, cette capacité à toucher des cordes profondes, qui la rend si attractive, mais aussi potentiellement risquée.

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Les dangers potentiels : une approche clinique et préventive

Derrière la promesse d’épanouissement, plusieurs niveaux de risques doivent être considérés. Ils sont loin d’être anecdotiques et méritent une attention particulière.

Les risques physiques : quand l’injonction au lâcher-prise malmène le corps

Le premier niveau de risque, le plus évident, est physique. Des mouvements mal adaptés, un échauffement insuffisant ou une pression implicite à dépasser ses limites peuvent entraîner des blessures classiques : entorses, contractures, douleurs lombaires. L’invitation à « laisser le corps s’exprimer » ne doit jamais se transformer en une injonction à ignorer ses signaux de douleur ou de fatigue. L’écoute de soi reste le premier rempart contre ces désagréments, une démarche d’auto-préservation tout aussi cruciale pour agir et se protéger lorsque son mari est dépressif.

Les risques émotionnels et psychologiques : le tsunami intérieur

C’est sur ce plan que ma vigilance de clinicienne est la plus forte. La « vivencia » est conçue pour être une expérience intense, capable de faire sauter des verrous psychiques. Pour une personne stable et bien structurée, cela peut être libérateur. Pour une personne en état de fragilité psychologique (dépression, burn-out, anxiété généralisée, traumatisme récent ou ancien non traité), l’expérience peut se transformer en un véritable raz-de-marée émotionnel.

Je repense à cette patiente, arrivée dans mon cabinet complètement désemparée après un stage de Biodanza. Elle y était allée pour « se sentir mieux » suite à une rupture difficile. Une danse de rencontre, particulièrement intense, a fait resurgir en elle avec une violence inouïe des souvenirs liés à une agression subie dans son adolescence. Elle a été submergée par des crises d’angoisses et des flashbacks, sans qu’un espace adéquat pour accueillir et métaboliser ce vécu ne lui soit proposé. Le facilitateur, bien que probablement bienveillant, n’était pas un thérapeute. Il n’avait ni la formation ni le rôle pour gérer une telle décompensation. La Biodanza n’est pas une thérapie. Elle ne peut et ne doit jamais se substituer à un suivi psychologique lorsque des troubles sont présents.

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Dérives sectaires et emprise : les signaux d’alerte

Le risque le plus grave est celui de la dérive vers l’emprise mentale. Les activités de bien-être sont un terrain de chasse privilégié pour les mouvements à caractère sectaire, comme le souligne régulièrement la Miviludes. La Biodanza, par sa structure même, peut y être vulnérable si le facilitateur et le groupe ne sont pas vigilants.

L’intensité émotionnelle partagée, la création d’un lien affectif fort et la sensation d’appartenir à une « famille » où l’on est enfin accepté tel que l’on est, peuvent créer une dépendance affective puissante. Un facilitateur manipulateur peut alors facilement user de son ascendant pour isoler les membres de leur entourage, imposer sa vision du monde ou obtenir des avantages, financiers ou autres. Soyons clairs : ce n’est pas la Biodanza en soi qui est sectaire, mais des individus peuvent instrumentaliser sa méthode à des fins d’emprise.

Tableau comparatif : Pratique saine vs. Signes de dérive
Critère Pratique Saine et Sécurisante Signes d’Alerte d’une Dérive
Le Facilitateur Humble, respectueux des limites, encourage l’autonomie, transparent sur sa formation. Figure de gourou, culte de la personnalité, détient une « vérité » unique, discours pseudo-scientifique.
Le Groupe Ouvert, accueillant les nouveaux, respecte le rythme de chacun. Fermé sur lui-même, élitiste, dénigrement du monde extérieur et des non-pratiquants.
Les Limites Le droit de refuser un exercice ou un contact est rappelé et respecté sans justification. Pression pour participer, culpabilisation en cas de refus, limites physiques et émotionnelles floues.
L’Engagement Libre, sans pression financière. Les liens avec l’extérieur sont encouragés. Exigences financières croissantes, incitation à couper les ponts avec les proches critiques, discours de « guérison miracle ».

 

Pratiquer en toute sécurité : les précautions indispensables

Il ne s’agit pas de diaboliser la pratique, mais de donner à chacun les outils du discernement pour vivre une expérience positive et constructive. La responsabilité individuelle est ici centrale.

Choisir son facilitateur avec le plus grand soin

C’est le point de départ de toute démarche sécurisée. Ne vous fiez pas uniquement au bouche-à-oreille. Un bon facilitateur doit pouvoir répondre en toute transparence à vos questions :

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  • Sa formation : Est-il diplômé d’une école reconnue par l’International Biocentric Foundation (IBF) ? Cette certification, bien que non étatique, atteste d’un parcours de formation de trois ans.
  • Sa supervision : Est-il régulièrement supervisé dans sa pratique par des pairs ou des formateurs plus expérimentés ? C’est un gage de remise en question et de professionnalisme.
  • Son éthique : Adhère-t-il à une charte déontologique claire ? Vous expose-t-il clairement le cadre des séances, notamment le droit de ne pas participer à un exercice ?
  • Sa posture : Fait-il preuve d’écoute et d’humilité ? Se présente-t-il comme un « facilitateur » ou comme un « maître » ? Un professionnel digne de confiance n’hésitera jamais à vous orienter vers un thérapeute s’il estime que votre problématique dépasse son champ de compétences.

Devenir le gardien de son propre espace intérieur

Pendant la séance, vous êtes et restez le seul maître de votre expérience. Le « lâcher-prise » proposé par la Biodanza ne doit jamais signifier l’abandon de votre discernement ou de votre intégrité.

L’autonomie affective est le plus grand cadeau que l’on puisse se faire. Cela signifie avoir le courage de dire ‘non’ à une expérience, même si tout le groupe dit ‘oui’, lorsque notre intériorité nous signale une limite. Ce ‘non’ n’est pas un rejet de l’autre, mais un ‘oui’ profond à soi-même.

 

Vous avez le droit inaliénable de vous arrêter, de sortir de la salle, de refuser un contact ou une danse sans avoir à vous justifier. Apprenez à écouter les signaux de votre corps : une tension, une palpitation, un sentiment de malaise. Ces sensations sont vos alliées, vos garde-fous. Les ignorer au nom d’une prétendue « libération » serait une profonde erreur.

Que faire en cas de difficulté ou de dérive avérée ?

Si, malgré vos précautions, vous vous sentez mal à l’aise, sous pression ou si vous êtes témoin de pratiques qui vous semblent abusives, ne restez pas seul. Parlez-en à des proches de confiance, extérieurs au groupe. En France, des organismes comme la Miviludes ou l’UNADFI (Union Nationale des Associations de Défense des Familles et de l’Individu victimes de sectes) sont des interlocuteurs précieux pour vous écouter, vous informer et vous orienter. Une consultation avec un professionnel de la santé mentale peut aussi vous aider à y voir plus clair et à vous extraire d’une situation potentiellement dommageable.

Pour une Biodanza consciente et respectueuse de soi

La Biodanza peut être un merveilleux outil de développement personnel, un chemin de retour au corps et à la joie. Paradoxalement, pour qu’elle soit véritablement libératrice, elle demande d’être abordée non pas avec un abandon aveugle, mais avec une conscience aiguisée de ses propres besoins et de ses limites. En choisissant rigoureusement son intervenant, en cultivant l’écoute de soi et en gardant un esprit critique, il est possible de danser sa vie en toute sécurité. Vous êtes l’acteur éclairé de votre propre bien-être ; ne laissez jamais à personne d’autre les clés de votre intériorité.