Oui, il est possible d’aimer profondément son partenaire et pourtant ne plus (ou jamais) ressentir de désir sexuel à son égard. Cette dissociation, loin d’être rare, n’a rien d’une anomalie honteuse : elle traduit la complexité de nos liens affectifs et de notre sexualité, façonnés par de multiples facteurs psychiques, physiologiques et sociaux. Oser la nommer, c’est déjà se libérer d’un poids.

En bref

  • Aimer sans désirer est une expérience humaine fréquente, souvent source de culpabilité mais pleinement légitime.
  • Les causes sont multiples : personnelles, relationnelles, hormonales ou liées au contexte de vie.
  • Des solutions existent : dialogue ouvert, reconnexion à soi, accompagnement thérapeutique, et parfois, redéfinition de l’intimité.
  • Le premier pas : déculpabiliser, puis oser en parler, pour retrouver un équilibre respectueux de chacun.

Amour et désir : deux réalités qui peuvent se dissocier

Nous vivons dans une société où la fusion entre amour et désir est souvent érigée en norme absolue. Pourtant, en tant que psychologue, je constate régulièrement ce paradoxe : on peut aimer sans désirer, et désirer sans aimer. L’attachement émotionnel naît d’une histoire, d’une tendresse, d’un sentiment de sécurité, alors que le désir sexuel relève d’une dynamique plus mystérieuse, portée par l’excitation, la nouveauté, le fantasme.

Autrement dit : aimer, c’est vouloir le bonheur de l’autre, partager, soutenir, se sentir en connivence. Désirer, c’est être traversé par une énergie érotique, qui ne se décrète pas et ne se contrôle guère. Ces deux dimensions reposent sur des circuits cérébraux distincts. Il est donc profondément illusoire (et même douloureux) de s’imposer la dictature d’un désir qui ne vient pas.

Je pense à cette patiente qui partageait une complicité lumineuse avec son compagnon, le décrivant comme son roc, mais dont l’élan charnel s’était éteint, sans raison apparente. Son histoire est loin d’être isolée : près de la moitié des couples traverseront, un jour ou l’autre, ce type de décalage.

Pourquoi le désir s’éteint-il ? les causes multiples de la baisse de libido

L’asthénie sexuelle – cette perte ou absence persistante de désir – n’est ni une fatalité, ni une fatalité à supporter en silence. Elle peut s’installer pour des raisons très diverses, souvent entremêlées.

Principales causes du manque de désir sexuel dans le couple
Facteurs personnels Facteurs relationnels Facteurs extérieurs
Fatigue, stress, image corporelle négative,
déséquilibres hormonaux (ménopause, post-partum, traitements),
antécédents de traumatismes ou d’éducation rigide,
effets secondaires de médicaments.
Routine, érosion de la passion,
conflits ou rancunes,
proximité parentale plutôt qu’érotique,
manque de confiance,
décalage des attentes ou des préférences physiques,
événements difficiles traversés ensemble.
Changements de vie majeurs (naissance, déménagement, perte d’emploi),
pression de performance sexuelle,
usage excessif de pornographie,
abus de substances.

Je remarque souvent que l’absence de désir n’a rien d’un choix conscient. Pour certains, elle survient après une modification hormonale (comme l’arrêt d’une contraception), pour d’autres, elle s’installe après des épreuves partagées ou lorsque la relation glisse doucement vers une forme d’amitié. La sexualité, loin d’être un simple réflexe mécanique, cristallise nos peurs, nos blessures, nos attentes et nos contradictions.

Je l'aime mais je n'ai pas envie de lui : normal ? - Emotional distance Intimacy struggles Relationship shift Vulnerability

Quand l’absence de désir bouscule l’équilibre du couple

L’un des éléments les plus douloureux que rapportent les personnes concernées, c’est la culpabilité : se croire responsable du malheur de l’autre, s’accuser de ne pas « être normale », ou se forcer à une sexualité subie, jusqu’à l’aversion. Et pourtant, cette souffrance est bien réelle, loin d’être anodine.

Du côté du partenaire « non désiré », le sentiment de rejet, la perte de confiance, la peur de l’infidélité ou de la rupture sont autant de blessures qui s’installent. Progressivement, le couple peut se transformer en colocation affectueuse, où la tendresse ne suffit plus à masquer la frustration ou les non-dits. J’observe chez de nombreux couples que ce silence sexuel, s’il n’est pas abordé, devient un terrain miné qui érode la communication et l’intimité.

Déculpabiliser : la première étape vers l’apaisement

Soyons clair : votre ressenti est légitime. Vous n’êtes pas seul.e à traverser cette zone de turbulence intime. Vouloir désirer, sans y parvenir, n’est pas un défaut d’amour. Je le rappelle souvent : le désir ne se commande pas, et se forcer ne fait qu’amplifier la détresse. Ce n’est pas parce que vous aimez sans désirer que votre relation est dépourvue de valeur ou condamnée.

Une anecdote me revient : une patiente, en pleine période de « vide » sexuel, faisait pourtant des rêves érotiques intenses. Sa libido n’avait pas disparu ; elle s’était simplement déplacée, endormie, ou redirigée loin de son partenaire actuel. Ce constat, loin de la condamner, l’a soulagée : la sexualité est vivante, mais parfois elle prend d’autres chemins.

Oser en parler : des stratégies pour un dialogue respectueux

Alors ne tournons plus autour du pot : mettre des mots sur cette dissociation, même maladroits, est une étape décisive pour éviter les quiproquos destructeurs. Il s’agit de choisir un moment propice, de se parler en « je » plutôt qu’en « tu », d’accueillir les émotions de l’autre sans jugement.

Un échange peut débuter ainsi : « Nous partageons une belle complicité, mais je ressens une difficulté concernant notre intimité. Je ne comprends pas tout, et cela me pèse. Je souhaite qu’on explore ensemble ce qui pourrait nous aider. » Cette démarche n’est pas une remise en cause de l’autre, mais une recherche commune d’apaisement.

man and woman kissing each other

Je précise qu’il est essentiel de s’interroger, ensemble : qu’attendons-nous de notre vie de couple, de l’intimité ? Quelles formes de tendresse ou de sexualité peuvent nous convenir, ici et maintenant ? Cette exploration n’est jamais figée : elle évolue selon les époques, les épreuves, et la singularité de chaque duo.

Se reconnecter à soi : retrouver la flamme intérieure

La reconquête du désir commence souvent par une introspection individuelle. Prendre soin de sa santé globale (sommeil, alimentation, gestion du stress) est un socle incontournable. Retrouver une image positive de son corps, pratiquer des activités qui éveillent la joie ou la détente, sont des leviers puissants.

Je conseille fréquemment d’explorer, sans pression, ses propres fantasmes ou souvenirs érotiques. La masturbation consciente, loin d’être un pis-aller, peut devenir un terrain d’expérimentation bienveillante. Porter attention à ses sensations, à sa respiration, sans se fixer d’objectif, ouvre de nouveaux possibles. Autrement dit : le désir renaît rarement sur commande, mais il peut être doucement réinvité par l’écoute de soi.

Soutenir le partenaire : accueillir la frustration sans pression

Du côté du partenaire, la tentation est grande de se sentir rejeté, voire trahi. Pourtant, attribuer l’absence de désir à un manque d’amour ou à sa propre valeur ne fait qu’ajouter de la souffrance. Il est temps de valider ses émotions : la frustration, la tristesse, le sentiment de solitude sont légitimes, mais n’autorisent pas la pression ni le reproche.

Exprimer, avec douceur, ses besoins (« Je me sens en manque d’intimité… ») sans accuser l’autre, permet de maintenir le lien. Parfois, chercher un soutien extérieur – ami de confiance ou professionnel – s’avère salutaire pour éviter la spirale des non-dits. La patience, l’écoute, et la volonté de chercher des compromis constituent les bases d’un accompagnement respectueux.

Réinventer l’intimité : au-delà de la sexualité classique

Lorsque la sexualité traditionnelle ne fait plus sens, il est possible de recréer de l’intimité autrement. Les gestes tendres – câlins, massages, bains partagés –, la redécouverte de la séduction (regards, compliments, surprises), ou la verbalisation de ses fantasmes sont autant de portes vers une sensualité renouvelée.

a close up of a woman's back with her hands on her chest

J’observe que la nouveauté, même minime, peut ranimer la flamme : sortir de la routine, créer des rendez-vous, explorer d’autres formes de plaisir (caresses, sexe oral, moments de simple proximité). Le plaisir n’est pas l’apanage de la pénétration ou de la performance. Il s’agit d’inventer, à deux, une intimité sur-mesure, loin des injonctions.

Quand consulter ? repérer les signaux d’alerte et s’entourer

Si l’absence de désir devient une souffrance chronique, qu’elle s’installe depuis plusieurs mois, ou que la perspective d’une sexualité future semble impossible, il est temps de chercher une aide extérieure. De même, lorsque la complicité s’efface ou que les disputes sur ce sujet deviennent le fil rouge de l’existence commune, l’accompagnement professionnel peut offrir un nouvel espace de dialogue.

Selon la situation, plusieurs interlocuteurs peuvent intervenir : médecin (bilan hormonal, effets secondaires de traitements), sexologue (exploration des blocages), thérapeute de couple (dynamique relationnelle), ou psychologue individuel (travail sur l’estime de soi, les traumas, l’anxiété).

« Oser demander de l’aide, c’est avant tout s’autoriser à vivre une relation plus authentique, en accord avec ses besoins profonds et ceux de son partenaire. » – Hélène

Relations sans sexualité : un autre modèle d’épanouissement ?

Paradoxalement, certains couples trouvent un équilibre stable et heureux sans sexualité. Cette voie n’est ni un échec ni une anomalie, à condition qu’elle soit choisie et non subie. Chez les couples âgés, les asexuels assumés, ou après certaines épreuves, l’intimité se redéfinit autour du partage, de la tendresse, de la fidélité émotionnelle et du soutien mutuel.

En consultation, j’ai accompagné des duos qui ont posé leurs propres « règles » : communication régulière sur les attentes, valorisation des gestes tendres, acceptation de l’auto-érotisme, et surtout, refus de juger ou de culpabiliser l’autre. Ce qui compte, c’est le consentement mutuel et la capacité à réinventer la relation hors des sentiers battus.

Aimer sans désirer n’est pas une fatalité ni une faute : c’est une expérience humaine, complexe, parfois douloureuse, mais toujours digne d’être entendue. Le chemin vers l’épanouissement passe par la reconnaissance de ses émotions, l’ouverture du dialogue, la recherche de solutions adaptées – qu’elles soient individuelles, partagées, ou accompagnées par un professionnel, notamment pour comprendre et traverser les phases de la rupture chez l’homme.

Votre relation mérite d’être authentique et épanouissante, qu’elle s’invente avec ou sans sexualité. L’essentiel : rester à l’écoute de soi et de l’autre, pour bâtir un lien respectueux de vos besoins profonds.