Retrouver le Goût et l’Odorat : Quand Nos Sens Nous Abandonnent

Le monde devient fade, silencieux. Le café du matin n’a plus son arôme réconfortant, le plat que vous aimiez tant n’est plus qu’une texture en bouche. En tant que psychologue, je constate régulièrement la détresse profonde que provoque la perte du goût et de l’odorat. Loin d’être un simple désagrément, c’est une porte qui se ferme sur le plaisir, les souvenirs et même la sécurité. Pourtant, cette expérience déroutante n’est souvent pas une fatalité. La capacité de notre cerveau à se réorganiser, la neuroplasticité, offre des pistes de récupération bien réelles, à commencer par une rééducation olfactive accessible à tous.

En bref : les clés pour retrouver vos sens

  • La rééducation est la voie royale : Un entraînement olfactif quotidien, basé sur 4 odeurs distinctes (comme la rose, le citron, l’eucalyptus et le clou de girofle), est la méthode la plus efficace pour stimuler la régénération neuronale.
  • Compensez intelligemment : Si le goût et l’odorat sont absents, misez sur les autres sens. Jouez avec les textures (croquant, moelleux), les températures (chaud, froid) et les sensations piquantes (piment, gingembre) pour réenchanter l’expérience du repas.
  • Validez votre ressenti : La frustration, l’anxiété et le sentiment d’isolement sont des conséquences psychologiques normales et légitimes. En parler est une première étape indispensable.

Le deuil sensoriel : un impact psychologique à ne pas sous-estimer

Soyons clairs : perdre l’odorat (anosmie) et le goût (agueusie) plonge dans un état de vulnérabilité singulier. Je me souviens d’une patiente qui me relatait son angoisse constante de ne pas pouvoir détecter une fuite de gaz ou l’odeur de brûlé. Une autre me confiait son immense tristesse de ne plus sentir le parfum de son nouveau-né. Ces témoignages illustrent une réalité souvent minimisée par l’entourage. Il s’agit d’une perte bien réelle, qui touche à notre intimité, à notre lien social autour de la table, et à notre mémoire affective, si profondément liée aux odeurs. Mais comment, face à un tel sentiment de dévalorisation ou d’ignorance, peut-on reprendre le pouvoir sur sa vie et ses émotions ?

Cette déconnexion sensorielle peut engendrer un isolement profond et une forme d’anhédonie, cette incapacité à ressentir du plaisir. Reconnaître cette souffrance, la nommer et la valider est le premier pas vers l’acceptation et l’action. Ce n’est pas « juste une perte de goût », c’est une part de votre monde sensible qui s’est éteinte, et il est tout à fait normal que cela vous affecte profondément.

Comprendre la perte : pourquoi mes sens ont-ils disparu ?

Si la pandémie de COVID-19 a mis en lumière ce phénomène, touchant jusqu’à 60% des personnes infectées, les causes sont en réalité multiples. Le virus SARS-CoV-2 s’attaque notamment aux cellules de soutien des neurones olfactifs, créant une inflammation qui perturbe la transmission des signaux au cerveau. La bonne nouvelle est que, dans la majorité des cas post-COVID, l’odorat revient en 1 à 4 semaines et pour 95% des patients en 6 mois.

Mais d’autres facteurs peuvent être en jeu : une infection respiratoire classique (grippe, rhume), une rhinosinusite chronique, des allergies, des polypes nasaux, et même certaines carences (notamment en zinc) ou la prise de certains médicaments. Avec l’âge, une diminution progressive est également observée. Identifier la source est une étape importante, qui justifie une consultation médicale si la perte persiste au-delà de quelques semaines.

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Votre cerveau est un muscle sensoriel. Comme tout muscle, il peut être affaibli, mais il peut aussi être réentraîné. La patience et la répétition sont vos meilleurs alliés dans ce processus de reconstruction silencieuse.

 

La rééducation olfactive : un protocole simple et puissant

La méthode la plus reconnue et efficace pour retrouver l’odorat repose sur un entraînement quotidien. Son principe est de stimuler de manière répétée et consciente le nerf olfactif pour favoriser la régénération des connexions neuronales. Nul besoin d’équipement sophistiqué, quelques huiles essentielles ou même des produits du quotidien suffisent.

Voici le protocole que je recommande :

  • Choisissez 4 odeurs distinctes appartenant à des familles différentes : florale (rose, jasmin), fruitée (citron, orange), épicée (clou de girofle) et résineuse (eucalyptus, pin).
  • Deux fois par jour (matin et soir), prenez le temps de sentir chaque flacon pendant environ 20 secondes.
  • Ne vous contentez pas de sentir passivement. Fermez les yeux et essayez de vous remémorer activement le souvenir associé à cette odeur. Visualisez une rose, un citron. C’est cet effort de concentration qui active la neuroplasticité.
  • Soyez persévérant. Les premiers résultats peuvent prendre plusieurs semaines, voire 3 à 4 mois. Il n’est jamais trop tard pour commencer, même si la perte est ancienne.

Pour le goût, la technique de la rétro-olfaction est un excellent complément. Mâchez un aliment, puis, bouche fermée, expirez doucement par le nez. Cela force les arômes à remonter par l’arrière de la gorge vers les récepteurs olfactifs, renforçant le lien entre les deux sens.

blue and yellow smoke illustration

 

Quand la perception est déformée : gérer parosmies et fantosmies

Parfois, le problème n’est pas l’absence d’odeur, mais une perception déformée et souvent désagréable : c’est la parosmie (l’odeur du café qui devient une odeur de brûlé) ou la fantosmie (sentir une odeur qui n’existe pas). Paradoxalement, c’est souvent un signe que les neurones se reconnectent, mais de manière désordonnée. Pour gérer ce cap difficile, identifiez vos déclencheurs (souvent café, oignon, viande grillée) et évitez-les temporairement. Certains patients rapportent qu’une odeur forte et « propre », comme celle d’un savon très parfumé, peut aider à « réinitialiser » temporairement le système. Le nettoyage nasal régulier à l’eau saline peut aussi aider à apaiser l’inflammation.

Synthèse des principaux troubles du goût et de l’odorat
Terme Définition Exemple courant
Anosmie Perte totale de l’odorat. Ne plus sentir l’odeur du café ou de la fumée.
Agueusie Perte totale du goût (saveurs de base). Ne plus distinguer le sucré, le salé, l’acide, l’amer.
Parosmie Distorsion d’une odeur présente. Une fleur sent le produit chimique.
Fantosmie Perception d’une odeur « fantôme », absente. Sentir une odeur de cigarette alors que personne ne fume.

 

Retrouver le plaisir de manger : au-delà du goût

En attendant que vos sens reviennent, il est possible de retrouver du plaisir à table en mobilisant d’autres ressources. L’alimentation devient alors une exploration sensorielle différente.

  • Misez sur les textures : Associez le croquant des noix, le fondant de l’avocat, le crémeux d’une purée. La sensation en bouche devient la nouvelle source de satisfaction.
  • Jouez avec les températures : Le contraste entre une soupe chaude et une touche de crème froide, ou une salade tiède, crée des sensations qui ne dépendent pas de l’odorat.
  • Explorez les sensations trigéminales : Ces sensations ne sont pas perçues par les papilles ou le nez, mais par le nerf trijumeau. Il s’agit du piquant (piment, gingembre), du frais (menthe) et du pétillant (boissons gazeuses). Elles apportent une vivacité bienvenue au plat.
  • N’oubliez pas l’umami : Cette cinquième saveur, souvent décrite comme un goût « savoureux », est parfois mieux perçue. On la trouve dans les champignons, les tomates mûres, le parmesan ou la sauce soja.

Le parcours médical : quand et qui consulter ?

Si après plusieurs semaines, et notamment 3 mois de rééducation autonome, aucune amélioration n’apparaît, une consultation s’impose. Votre médecin généraliste est la première porte d’entrée. Il pourra vous orienter vers un ORL (Oto-Rhino-Laryngologiste), le spécialiste de ces troubles. Des tests comme l’olfactométrie pourront quantifier la perte et aider à poser un diagnostic précis. En fonction de la cause, des traitements (corticoïdes en spray nasal, par exemple) pourront être proposés. Méfiez-vous des promesses de « remèdes miracles » à base de compléments alimentaires. Une supplémentation en zinc ou vitamine A ne doit se faire qu’en cas de carence avérée et sur prescription médicale, car un surdosage peut être toxique.

Votre frustration est légitime. Votre quête pour retrouver ces sens est un chemin qui demande de la discipline et de la bienveillance envers vous-même. Chaque petite perception retrouvée, même fugace, est une victoire. Célébrez-la. Votre monde sensoriel peut se reconstruire, odeur après odeur, saveur après saveur.